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« Arpenter la nuit » de Leila Mottley


Leila Mottley : éloge de son premier roman Arpenter la nuit



Jeune afro-américaine de 17 ans, Kiara, menacée d'être expulsée de son appartement, délaissée par les siens et livrée à elle-même, se retrouve à se prostituer pour payer son loyer. Embarquée dans une histoire qui la dépasse, elle nous raconte son récit dans lequel s'entremêlent le courage et la résilience face à la rue hostile et sans pitié.


Ce roman est une claque qui nous frappe là où on ne s'y attend pas. C'est un coup de poing de vérité et de justesse qui nous subjugue du début à la fin. Leila Mottley n'a que 17 ans quand elle écrit cet ouvrage mais elle nous bouscule et percute comme une grande conteuse. Le récit s'enchaîne et défile sans qu'on s'en aperçoive et les personnages se dévoilent à nous dans toute leur nudité ; des êtres cassés qui ont dû faire ce qu'ils avaient à faire pour survivre. L'auteure nous y montre la faiblesse de ceux qui, confrontés à la misère, doivent jongler avec les frontières du moral et de l'immoral et la cruauté de ceux qui en profitent.


Satire d'un système qui protège toujours les plus puissants, ce livre est un cri d'injustice et un cri de ralliement pour toutes les femmes noires de la nuit, les prostituées queers et transgenres qui finissent trop souvent blessées sous les coups, prisonnières d'une vie qu'elles n'ont jamais vraiment choisi.


La force de ce livre c'est aussi de nous raconter une histoire terrible sous la forme d'un récit innocent. Kiara est une jeune adolescente. Elle aime dessiner, traîner avec son amie Alé et faire du basket avec le jeune fils de la voisine. Elle voudrait pouvoir encore se nicher dans les bras de son frère et laisser sa mère l'enduire de beurre de karité. Au lieu de ça, elle doit porter la responsabilité des choix faits par ceux qui ne sont même plus là pour s'occuper d'elle. Dans sa maturité prématurée, elle conserve malgré tout une forme de naïveté, d'humilité et de légèreté qui rend le récit supportable pour le lecteur. C'est tout le talent de l'auteure, nommée Oakland Youth Poet Lauréate en 2018, d'amener de la gaieté dans la lourdeur et de traiter les sujets difficiles avec pudeur.


Ainsi que le résume l'auteure, elle voulait « Écrire un récit qui reflèterait la peur et le danger que ressent chaque femme noire au moments de la puberté et qui traiterait de l'adultification des jeunes filles noires tout en reconnaissant que Kiara - comme toutes celles d'entre nous ayant vécu des situations qui paraissent insurmontables - restent capable d'être heureuse et d'aimer. »


Le récit nous offre ici l'opportunité d'essayer de nous mettre un instant à la place de ces jeunes femmes, de changer de regard pour nous demander à notre tour ce que nous aurions fait pour survivre ou pour éviter ça. L'histoire semble nous amener à la conclusion qu'en misère la morale n'a plus de loi. Elle amène à l'indulgence plutôt qu'au jugement, à la compassion plutôt qu'à la condamnation et pose la question suivante : le système en fait-il assez pour protéger les prostituées ? Les réalités du système judiciaire en tout cas, que nous montre cette histoire inspirée d'un fait divers, semblent plutôt suggérer le contraire. Faire entendre le récit prend alors une portée politique. Les voix de Kiara et de Camilla humanisent le destin de ces femmes qui n'ont rien de criminelles et qu'il faudrait peut-être commencer par arrêter de traiter comme telles.


Léa, le 31 décembre 2022



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