Lancé pour Halloween, notre premier défi d'écriture a suscité beaucoup d'enthousiasme de la part des internautes qui ont été nombreux à relever le défi. Pour rappel, le thème était "au crépuscule", le genre "horreur ou fantaisie" ( 3000 caractères max.) et la contrainte"pas de point de vue humain". Un sujet audacieux mais relevé avec brio par nos participants qui ont su redoubler d'inventivité et d'ingéniosité pour se plier aux "ingrédients" de la semaine. Nos félicitations à tous les auteur.e.s !
On vous partage aujourd'hui les sept textes reçus qui, on l'espère, vous feront frissonner d'horreur comme nous.
1/7 « Mont Maudit 31 octobre 2020 », Lollygag.
Tout d'abord, on vous propose de lire le texte qui s'est démarqué parmi les autres aux yeux de nos jurys qui l'ont élu texte "coup de cœur" de la semaine. Il s'agit du texte intitulé « Mont Maudit 31 octobre 2020 » écrit par Lollygag. Une histoire pour le moins vertigineuse....
" Deux pas à gauche.
Deux pas à droite.
Silence.
Immobile sur ma pierre, je tends l’oreille, à l’affût. Cela fait bien deux siècles qu’aucun humain ne s’est aventuré jusqu’ici. Et même avant, personne ne s’y risquait une fois le soleil couché. La montagne en cette saison est dangereuse, sa paroi humidifiée par la température automnale. Un pas mal assuré et c’est la chute.
Un mouvement sur ma droite.
Un nouveau sur ma gauche.
Ils se font hésitants, moins sereins que les premiers.
Cette fois plus de doute possible, deux êtres vivants contournent mon socle de pierre. Deux
humains ont été assez fous pour s’aventurer sur le Mont Maudit un 31 octobre. La glace n’a
jamais été aussi lisse. Le danger n’a jamais été aussi proche.
La nuit est tombée à présent et les deux intrus peinent à se repérer. Si une statue pouvait
soupirer, je déclencherais une véritable tornade. Je fulmine. La plaque funéraire gravée sur
mon socle suffirait à les alerter : « Le 31 octobre 1820, un groupe de six alpinistes s’aventura
en ces lieux. Sur six, seuls trois en revinrent vivants. Prend garde randonneur. »
Un glissement.
Un cri.
(Un pas mal assuré, et c’est la chute...)
« Laura ? »
Silence.
« Laura ! »
...
« Paul ne crie pas. »
Ces derniers mots me parvinrent difficilement. Ils ont été chuchotés derrière moi par une voix tremblante. Un cliquetis se fait entendre. Quelqu’un décroche un mousqueton. Un groupe d’alpinistes. Comme en 1820.
Paul n’écoute pas. Il répond plus fort, plus pressant.
« Solenne, qu’est-ce que tu fabriques ? »
Il faut être un vrai novice pour crier en haut d’une montagne enneigée. Un vrai novice ou un
alpiniste paniqué.
« Solenne ? Bordel répond-moi ! »
Je me fige. Solenne aussi. Elle ne répond pas. Pas plus que Laura. Un vent frais se heurte à
ma pierre. Un vrombissement retentit dans les hauteurs.
« Paul lâche ton sac. Couvre ta bouche. Et viens vers moi ! »
Le temps n’est plus à la prudence. Le vrombissement se fait plus proche. Une main chaude se plaque contre ma jambe. Quelqu’un s’adosse à mon socle – probablement Solenne. Elle
cherche à se protéger de la vague de neige qui se rapproche.
Un bruit sourd se fait entendre sur ma droite.
Paul a lâché son sac.
Trop tard.
Je n’entends plus rien.
Je ne perçois plus rien.
Le vrombissement est assourdissant.
La neige est partout. Je le sais. Je la sens.
La main de Solenne a disparu.
Je tremble sur mon socle. La pression est trop forte.
La pierre ne tiendra pas.
La pierre ne tient plus.
Silence.
***
« Le 31 octobre 2020 un groupe de trois alpinistes s’aventura en ces lieux.
Sur trois, aucun ne survécut.
Prend garde randonneur.
Le Mont Maudit n’est pas sûr. »
2 / 7 " Peur primale" , Loqui Hiden
Le texte suivant s'intitule "Peur primale". Il est écrit par Loqui Hiden et prend le point de vue d'un animal souvent source d'angoisse. On n'aimerait pas être à la place de sa victime ! Un texte saisissant, palpitant et délicieusement dérangeant :
" Enfin, plus de menace.
Après plusieurs heures, Elle à pu sortir.
Pas d‘un trou à proprement parler, plutôt d’un espace maigre entre l’ancien mur et la nouvelle plaque posée par La Grande, récemment.
Plus de vibration au sol, ni au mur, plus de lumière aveuglante alors Elle sort.
De petits poils courts, et doux.
Elle avant rapidement, profitant de sa liberté et cherchant de quoi manger. Dans cet espace, très peu de lumière, le noir presque complet excepté une mince raie de clair de lune au sol, presque tranchant pour Elle, c’étais le crépuscule.
Des vêtements jonchent le sol, encore chauds, et humides de transpiration. Elle passe dessus et remarque cette douce chaleur, l’humidité fait frissonner ses poils à leur contact.
Des yeux noirs, insondables.
Elle arrive enfin jusqu’au lit, et en un clin d’œil, humain, Elle fond dessus. Et Elle la sens. Une chaleur enivrante, ses poils se raidissent, son abdomen proéminent se contracte, et les enfants qui bougent en son sein.
Prudemment d’abord, elle passe, au dessus et dessous des recoins sombres de grandes plaques de tissus, se rapprochant et s’éloignant de La Grande, source de chaleur, jusqu’à sentir un courant d’air chaud, intense et irrégulier, alors elle en frissonne encore d’excitation.
12 centimètres, et 8 jambes fines.
Elle s’avance alors doucement, vers La Grande, et ses bras inertes, endormis.
Elle n’est pas normale … Ici, à la périphérie parisienne, les araignées ne dépassent pas les 7, 8 centimètres de diamètre avec les pattes.
Elle, est une exception, prodige, provenant du bâtiment d’à côté. Expérience génétique ratée, ou croisement accidentel, impossible à déterminer.
Toujours est-il qu’elle doit bientôt donner naissance à plusieurs de ses merveilles, et elle manque cruellement de chaleur et de nourriture chaude.
Elle avance le long de son bras, et arrive sur son thorax, qui se gonfle et s’affaisse avec la respiration, et son souffle chaud continue de se dégager, parcourant le thorax, comme le vent sur une plage chaude, ou un souffle nauséabond dans les égouts pour Elle. Alors elle frissonne encore.
Posée au bout du thorax, dans le début du creusement entre deux seins, Elle se laisse parcourir, immobile, par le souffle chaud, discontinue, avant d’avancer.
Sa route est droite, sa marche régulière et de plus en plus rapide. La route est courte pour un humain, elle semble durer plusieurs secondes entière pour une araignée, et les petits poils parcourant les pattes frôlent rapidement la peau nue en dessous. Cela semble la gêner dans son sommeil, des frissons la parcourent.
Arrivée dans un creux, sous le menton, le souffle semble ne pas arriver, alors Elle marque un arrêt, court.
Lorsqu’elle reprend son trajet, La grande émerge, les frissons et les chatouilles produisent un effet étrange, à la fois tranquillisant et gênant dans un sommeil.
Lorsque La Grande ouvre doucement les yeux, elle veut se gratter, la gorge, le menton, mais ses yeux s’écarquillent puissamment, stoppant son geste.
Elle est entrée dans sa bouche, volant presque en agitant ses 8 pattes, et s’engouffrant au fond de la cavité béante, toujours plus chaude, et force le passage. Elle est différente, plus puissante, elle fait mal.
La grande s’agite, elle tente de contracter sa gorge, de repousser le corps velue et étranger mais il est trop tard, et Elle est trop puissante, et trop engagée.
La Grande éructe, suffoque, se raidit, Elle, ses pattes velues finissent de se faufiler dans la gorge, et Elle pondra bientôt, au chaud, quelque part dans le corps de La Grande."
3 / 7 "Narcisse et Écho", Stergo Meidiano
Ce texte-ci s'intitule "Narcisse et Écho" et a été écrit par Stergo Meidiano. Mené par une écriture délicate et sophistiquée , presque sensuelle, cette mise en scène intrigante suscite une véritable curiosité et attente chez le lecteur jusqu'à la toute fin avec cette chute pour le moins déroutante...Ne vous laissez pas berner par cette voix susurrante et envoûtante !
"Depuis l’intérieur de mon manoir, dans le reflet de la fenêtre à jamais entrouverte, j’aperçois, dans le coin de ciel qui se teinte d’orange, les reflets rougeoyants des feuilles de caducs un soir d’automne. Le vent qui fait bruire les arbres semble chuchoter ses secrets à l’oreille de ce jeune homme qui escalade la colline, et qui pense que je ne l’ai pas remarqué. Mais je l’ai remarqué. Depuis le temps que je l’attends.
Oui, entre, fais comme chez toi. J’entends ton pas hésitant faire grincer le plancher de ma demeure, ta voix, hésitante elle aussi, qui peine à porter à travers la poussière et les toiles d’araignée. « Il y a quelqu’un ? » Oui, je suis là ! Monte, monte me voir, mon aimé. Je sais exactement pourquoi tu es là, je sais ce que tu cherches, dans la masure abandonnée, au crépuscule du jour et de l’automne. J’ai entendu les rumeurs. Si tu veux tout savoir, c’est moi qui les ai répandues.
Ah, te voilà enfin. L’huis pivote bruyamment sur ses gonds, le rayon de ta lampe-torche déchire la pénombre comme un coup de machette. Voilà si longtemps que j’attendais un peu de mouvement ; l’araignée qui court sur mon cadre refuse de me laisser lui offrir son reflet ; mais tout est oublié. Tout est pardonné. Maintenant, tu es là. Tu braques ton faisceau vers moi, et je me fais une joie de te le renvoyer. Ton visage s’illumine un instant. Ta stupéfaction se mue en grimace, tes grands yeux bruns se plissent pour se protéger, et tu ne peux retenir une exclamation de surprise en couvrant tes traits féminins de ta grande main de pianiste. Oh, que tu es beau, mon promis ! N’aie pas peur de mon regard. Après tout, ce n’est que le tien.
Dans ce grenier un peu trop grand, nous nous tenons face à face, droits, immobiles, interdits. A nous contempler sans un mot. Je sens tes yeux se glisser le long de mes courbes élégantes et se perdre dans les dorures qui me parent ; frissonne, bien-aimé, laisse-moi tressaillir ! Ne crains rien… Avance-la, cette main dont je vois qu’elle tremble. Moi aussi, je tendrai la main. A chaque pas que tu feras vers moi, je te promets d’en faire un aussi. Du moindre de tes souffles je me ferai l’écho.
Ton cœur bat de plus en plus vite. Je le sais, ma poitrine palpite, elle aussi. Nos visages s’empourprent, et tu n’es plus qu’à quelques centimètres de moi. Tu as peur, si peur, de cette surface argentée qui nous sépare ! Mais écoute-toi, bien-aimé, écoute les rumeurs que tu as entendues. La dernière clarté est sur le point de s’éteindre ; le voile entre nous deux, de se déchirer…
Comme dans mes rêves, les derniers rayons du soleil viennent mourir sur ton visage d’albâtre. Et tandis que tes lèvres viennent effleurer ma surface argentée, le crépuscule agit. Je tressaille, comme tu me l’as promis ! Comme je me le suis promis ! Comme… il est bon d’avoir un corps. Écartant prudemment mes paupières aux longs cils, j’adresse au miroir un sourire. Et toi, pauvre amour, il ne te reste plus qu’à me le renvoyer."
4 / 7 "Le 31 du mois d’octobre", Phénomène
Ce texte-ci s'intitule "Le 31 du mois d'octobre" et est écrit par Phénomène. Lugubre à souhait, il partage les pensées d'un monstre répondant à la mise à l'écart par le mépris. Sur qui sa rage va-t-elle s’abattre ?
"Ne sont-ils pas misérables… Ne sont-ils pas misérables, tous ces êtres qui s’agitent en bas comme des punaises, à attendre on ne sait quel malheur, comme s’ils vivaient dans une ruche. Ça bourdonne. Nous sommes déjà à l’heure du crépuscule. La ville vieillit. Les couleurs ternes du soleil n’ont plus rien à voir avec celles d’antan. Du moins, lorsque je consulte mes souvenirs. Cela fait si longtemps que je ne m’étais pas rendue ici. Depuis qu’ils m’ont exclu de leur société, je ne m’approche plus d’eux. Les pestiférés. Contre Uno. J’ai été élevée par des louves et des magiciennes. Le diable m’emporte, je vis mieux loin d’eux.
Ils se meuvent rapidement ces humains. Plus rapidement que des spectres. Ils me font penser à des blattoptères, des dermaptères, ou à de malheureux diptères sans avoir pourtant de trace anthropoïde dans leur ADN. Et pourtant. On pourrait les griller au feu, les enfiler chacun leur tour sur une brochette de cuisine qu’ils ne le remarqueraient même pas, ces humains, jusqu’à ce qu’un croc acéré vienne les briser en deux – en occurrence, le mien. Ils ne réagissent qu’à la douleur. Font semblant jusqu’à ce qu’il soit trop tard. C’est lunaire. Ils ne savent pas ce que je suis capable de leur faire. Oui peut-être je suis défigurée aujourd’hui, à cause d’eux. J’étais fragile. Mon corps n’a pas supporté. Les brûlures les plaies les coups. Je ressemble à une gueule-cassée mais en pire. Ma peau s’est nécrosée depuis fort longtemps et pourtant, je ne meure pas. J’aurais dû mourir lors du tabassage. Ça n’a pas été le cas. Personne n’a compris. On m’a rejeté. J’ai l’apparence d’une morte qui vit. Depuis, une maladie inconnue me grignote le visage. La chair me manque, ma mâchoire inférieure pend, comme si elle ne tenait plus que par un fil de nerf rose. Mes dents sont toutes pourries. Je suis un chien galeux. Si je vis encore, c’est parce que je ne dois plus appartenir à leur espèce, je suis quelque chose d’autre. Le diable sait quoi.
Me voilà au-dessus d’eux, les surplombant, et eux ne le remarquent même pas, ils ne remarquent jamais rien. Le diable les emporte ! Ils sont partout les empotés et pourtant, leurs âmes misérables ne comblent pas l’environnement vide. Et ils supposaient que c’était moi, l’anormale ? Le monstre ? La ville ne m’avait pas manqué. Leur jungle de pierre. Leur air est aussi crade que donne la fumée des cigares de Cuba. Ils se suicident eux-mêmes avec leurs pratiques de consommation et en redemandent. Tout cela ne me plaît guère. Je m’étais rendu ici pour m’amuser. Turns out que je vais m’amuser à les tuer. Je vais les délivrer de leur sort, comme ils pensaient me délivrer du mien. Ce que je m’apprête à leur faire à peut-être du bon. Ce n’est peut-être pas si triste. Peut-on avoir quelques scrupules à retirer la vie d’être déjà morts à l’intérieur ? C’est une fleur que je leur offre. Je peux sonder leur cœur là d’où je suis. J’entends ce qu’ils pensent. Si je prête attention à leurs pensées, je n’entends que des intentions contradictoires. Chacun est tout à la fois, et au même moment : victime, bourreau, persécuté, persécuteur. Le bon et le mauvais, le gentil et le méchant. Si je m’approche de ce carreau là-bas… Le quatrième du milieu de cet immeuble chic par exemple, probablement une banque. Avec des banquiers. En réunion. Dans leur esprit, pas un doute. Ou plutôt, chacun fait semblant. Ils doutent mais taisent leur doute, pour s’éviter le suicide. Moi, je saurais les aider à sonder le fond de leur cœur pour qu’ils s’écoutent. Il ne faut pas craindre la mort, encore moins lorsqu’elle est donnée par une belle soirée d’un 31 du mois d’octobre.
C’est bientôt l’heure. Mes cheveux noirs deviennent électriques. C’est l’excitation. J’ai hâte. Je remonte vers les hauteurs du ciel. Comme une espèce d’adrénaline. Avada Kedavra. Merde. Ça va leur tomber dessus comme de la foudre, ces humains, ils riront jaune. Mutatis mutandis. Voilà le soleil qui se couche tout à fait derrière la colline. Ma main droite s’agrippe fermement à ma baguette.
PUTRIFICATION !!!!! que je braille.
La suite ? Ne soyez pas trop pressés. Il pourrait vous arriver des bricoles le 31 du mois d’octobre de l’année prochaine. Le diable, mieux vaut ne pas trop s’en approcher. "
5 / 7 "Au crépuscule sanglant ", Camille Léon
Le texte suivant s'intitule "Au crépuscule sanglant" et a été écrit par Camille Léon. À la limite de l’absurdité, mené par une écriture saccadée ; il balance entre jour et nuit, entre raison et folie, entre pulsion et retenu. On vous laisse découvrir de quel côté il s’apprêtera à pencher...
"Hacher. Trancher. Couper. Le tic-tac s'accélère tandis que la nuit tombe et que monte les
pulsions meurtrières. Cisailler. Transpercer. Tuer.
Rangé dans mon tiroir, j’attends. Je me rappelle l’odeur âcre et nauséabonde de la chair que
j’ai jadis découpée. Ma préférée, c’était le veau. Tendre et noueuse. Elle semblait toujours se donner à moi avec humilité et pudeur. Libation juteuse, le sang coulait à flot.
Voilà des mois que je n’ai rien découpé d’intéressant. Des légumes. Des sachets en plastique. Du pain. Parfois, ils me laissaient même enfermé des jours durant. Des jours d’angoisse dans la nuit noir, tiroir du bas, tétanisé, apeuré, avec pour seuls compagnons des
couteaux mal aiguisés et des ustensils de cuisine à l’odeur de poussière graisseuse. J’en deviens fou. Il me faut trancher de la viande fraîche. J’ai besoin de sentir contre ma lame la résistance charnelle de la chair qui m’offre son jus. J’ai besoin de transpercer un morceau charnu de viande écarlate. J’ai envie de découper ceux qui me privent de le faire.
Aujourd’hui, ils m’ont oublié sur la table de la cuisine. Ils ne m’ont pas ramené au tiroir comme ils le font tous les soirs. La nuit tombe et le soleil, bien pâle, donne ses derniers éclats de la journée, prêt à quitter la scène.
Changement de décor. C’est l’heure du dernier Acte.
J’hésite soudain. Et s’ils se défendaient et me renvoyaient au tiroir pour plusieurs semaines,
ou pire, s’ils me jetaient dans ce trou béant, ce néant noir : à la Poubelle ? J’en frissonne d’angoisse. Mais le besoin est trop fort. Je ne suis plus maître de moi-même.
Au crépuscule entre le jour et la nuit, entre raison et folie, entre prévisible et imprévisible, je
me sens basculer.
Mes pensées s'assombrissent. Ma vision devient rouge. Colère.Rancune.Vengeance.
Je vais le faire. Ainsi, ils ne me forceront plus jamais à trancher de carottes, de poireaux, ou pire, d'oignons. Je serais libre. Mon ambition est grande comme ma soif inassouvie.
Je couperai et découperai tout. Plus aucune volonté autre que la mienne ne guidera mes gestes. Instinct primaire, je serais le monstre, l'animal. Ma lame sera griffe.
L'obscurité me grise. J'entend l'appel des criminels qui me proposent de faire équipe avec
eux. Je rends ma lame belle au péril des âmes en peine. Prenez-moi. Je me donne à vous,
assassins.
Au crépuscule, je me sens chavirer de l'autre côté. La nuit tombe. Le soleil disparaît. Le mouvement des planètes joue contre moi. Car tous les soirs, ce sont toujours les ténèbres
qui viennent remplacer la lumière et il ne fait déjà presque plus jour..."
6/ 7 "Il était temps de rentrer...", George Sand
Nous avons également reçu le texte de l'auteur.e anonyme George Sand qui commence par "Il était temps de rentrer..." . Texte plus léger, pétillant et même sautillant à l'instar de l'animal qui raconte l'histoire mais également immersif : on sentirait presque l'herbe nous chatouiller les pattes...
"Il était temps de rentrer. La chasse avait été mauvaise.
Pas de souris, pas de mulot. Rien. Cruelle déception.
L’air frais du dehors faisait friser mes moustaches, des odeurs inconnues m’avaient attiré dehors. Odeurs fraîches et tentantes. Ce petit bois au loin était inspirant. Insectes, rongeurs, oisillons, tout était bon à prendre.
Pour une première sortie après des mois coincé dans un appartement, à me contenter de croquettes, je me faisais une joie de musarder dans la campagne…
Mais cette bucolique expédition vespérale n’avait pas rempli toutes ses promesses…
D’abord, les épines de pin piquaient mes délicats coussinets. Sensation désagréable qu’il fallait surmonter…. Ensuite des bruits étranges, trop de bruits, me déroutaient. Comment se concentrer, s’orienter, quand tout bruisse et tout crisse, quand ça pépie et ça couine, ça soupire, ça gémi, sans ordre, sans discipline… Moi, Kylo, chat de luxe, seigneur de mon domaine, j’étais étourdi par la surabondance d’informations provenant de ce petits bois.
Il fallait que j’y aille… il fallait que je tue, que je morde, que je croque, que je joue à terroriser une petite victime… il fallait que rentre au matin avec une proie à déposer, vainqueur, dans la cuisine familiale. Question de prestige…
Mais pourquoi le petit bois que je visait brillait doucement d’une lueur étrange ? Le crépuscule tombait et plongeait peu à peu la campagne tout autour dans l’obscurité… et pourtant, une lueur émeraude scintillait doucement …
Un petit bois hanté, sans nul doute. Peut-être s’y préparait un sabbat que seuls ceux qui connaissent le Berry peuvent décrire. Un sabbat où la gentille caissière rencontrée le matin même joue le rôle principal. Un sabbat d’où les chats noirs comme moi ne reviennent pas.
Il n’était pas question que j’y aille. Je suis et je resterai un chat noir cartésien, droit dans mes pattes, assuré et orgueilleux.
De la nourriture, j’en trouverai ailleurs. Après tout, les petites bêtes abondent dans les champs. Il suffit de tourner le dos à ce petit bois et retourner vers la maison…
La maison…
Où était-elle ? Aucune masse sombre ne se détachait sur le ciel bleu nuit. Pas de portique, pas de pin, même plus l’odieuse voiture dans laquelle je venais de subir un interminable trajet.
J’étais seul. Un champ. Un petit bois. Et moi.
Miaou !
Et la lumière se rapprochait, elle s’insinuait dans l’herbe en volutes vertes. Pas d’odeur. L’odeur de la nuit était toujours aussi agréable. En fermant les yeux, je pouvais croire que tout cela n’était pas vrai….
C’est ça . Garder les yeux fermés. Se coucher dans l’herbe. Se faire tout petit. Attendre…"
7/ 7 "Ils sont tous morts sur moi...", Well
Enfin, nous avons reçu le texte de Well qui commence par "Ils sont tous morts sur moi". Portrait sanguinolent, barbare et cru d'un champs de bataille qui a perdu toute aura héroïque, ce texte désenchantant et horrifique nous laisse avec une vision pessimiste de la condition humaine...
"Ils sont tous morts sur moi. Ils ont arrêté de respirer à mon contact. Ils ne me montrent que leur gueule ouverte en charpies. Ils sont aussi plats que moi, écrasés par les autres. Ils sont nombreux et ils augmentent. Ils ont un corps de squelettes, plus lourds de métal que de chair.
Car il leur en manque de la chair. Il leur manque celle qui leur a été décroché par l’épée ennemie, celle qu’ils se sont arraché pour se nourrir, celle qu’on leur a mutilé pour qu’ils ne meurent pas, celle qu’ils ont perdu par la faim. Je ressens le traumatisme de leur chair tandis qu’elle coule sur moi.
Je m’en nourris avec délice.
Tout comme je bois les autres liquides qui se répandent sur moi : bave, vomi, sang, sueur, urine, pus. Leurs larmes aussi, parce qu’ils avaient beaucoup pleuré. D’autres m’ont frappé du poing et du pied. Que célébraient-ils au juste ? Ils n’ont aucun intérêt de se venger sur moi. Qu’importe, ceux-là sont raides maintenant.
Certains se relèvent, tous retombent. Ils sont laids à en pleurer, plus rien chez eux n’est acceptable, mais j’en ris. Car c’est eux qui ont peur de tomber sur moi.
L’un d’entre eux me fixent de son œil éclaté. Puis il part. Oui c’est cela, va rejoindre mon opposé.
Deux cadavres commencent à faire l’amour. J’entends leur jouissance. Ils craquent.
Nous sommes dans un endroit à l’horizon ouvert, sans arbre ni buisson, où il y a seulement des rochers, sur lesquels leur crâne sont fracassés. Ils reposent ici depuis longtemps, dans cet environnement désolé où l’herbe est rouge. Leur tenues noires se sont solidifiées avec le sang.
Le nuage de putréfaction revient, il recouvre le ciel. Il n’y a plus d’air, seulement l’odeur palpable de leur chair brulée. Le sang retombe sous forme de pluie et les recouvre, comme une seconde peau morte. Puis elle les brûlent jusqu’à l’os.
Soudain des hurlements retentissent. Le soleil se couche et les cris s’amplifient. Ils sont rauques, uniformes et me font trembler à mesure que le soleil se dissipe. Et soudain tout fait sang.
C’est le crépuscule et avec lui le désespoir de ceux qui ne veulent pas abandonner la vie. Ils redoublent de peur à l’approche de la nuit. Absolument tout veut leur mort. Le crépuscule arrive pour me délivrer. Car ils ne vivent plus après lui. Ils se taisent peu à peu, le crépuscule les achèvent.
Je m’abreuve tous les soirs du sang des ennemies tués dans la journée. Je suis leur repos éternel. Je ne prendrais pas soin d’eux. Au mieux, de l’herbe poussera de leur chair massacrée. Et je reverdirais grâce à eux. "
~~~
Et c'est déjà la fin de ce beau et glaçant corpus ! On espère que vous aurez appréciez les plumes de nos différents participants. Si cela vous a plu, n'hésitez pas à nous laisser un commentaire et à consulter les textes des autres défis disponibles sur notre blog.
Pour plus d'informations concernant les prochains défis, consultez notre story à la une sur le compte instagram @lamadeleine.celsa.
En attendant , on remercie tous ceux qui se sont mis "Aux fourneaux!"
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