En novembre dernier, l'atelier d'écriture de le Madeleine intitulé "Aux fourneaux!" lançait son quatrième appel à texte. La registre était cette fois-ci plus poétique et il a amené les internautes à chercher l'inspiration dans leur imaginaire tout en se pliant aux contraintes techniques de la prosodie. Nous partageons aujourd'hui avec vous quatre poèmes qui se sont prêtés au jeu. Tous ont pour thème "chimère", ce personnage mythologique riche en polysémie. Les participants ont su mobiliser le pouvoir d'évocation de ce thème tout en répondant aux attentes des jurés qui leur ont demandé d'utiliser au moins une rime croisée, une rime suivie et une rime embrassée. Une exigence qu'ils ont tous respecté avec brio !
1."Ta bouche rouge" Camille Léon
Le poème que les jurés ont décidé de récompenser de la madeleine d'or joue sur le sens fantasmagorique de la chimère comme désir irréaliste et rêve avorté. À travers une écriture intime et sensuelle, ce texte fait corps et connivence avec les rimes embrassées. Ne cessant de se croiser, elles se répondent. D'inspiration baudelairiennne, ce poème décrit l'amour impossible, rêvé, inatteignable à travers des images suggestives et des métaphores filées. Habituée des défis de "Aux fourneaux!", cette Camille Léon, contrairement à l'instance poétique de "Ta bouche rouge", aura donc enfin vu ses efforts récompensés et ses espoirs de distinction se concrétiser.
Je fantasme ta bouche rouge
Roulant dans mon cou peu farouche
Marquant sa route d'un fer bleu,
Qui, en moi, met le feu.
Je rêve et j'espère
Sentir un jour tes lèvres
Sur ma peau beige et salée
M'embraser de baisers,
Incandescente braise
Sur laquelle naîtra
Deux parenthèses.
J'imagine en vain
Ta bouche et la mienne,
Cascade diluvienne
Où coule le vin
Qui rend ivre au matin,
Ta peau sur la mienne,
Ma main dans ton dos,
Danse colombienne,
Tempo crescendo.
Hélas ! Monstre d'imaginaire,
Ce rêve est une chimère,
Un fantasme insensé,
Fleuri, comme une pensée.
2. " Le poète, ce rêveur", The bic Lebrowsky
Le poème récompensé de la madeleine d'argent s'intitule "Le poète, ce rêveur" et nous plonge directement dans une lecture méta-poétique où l'écriture s'interroge elle-même sur les fonctions qu'elle occupe et la nature de son énonciation. Mise en abîme du poète lui-même, l'instance poétique y dresse le portrait de "cet homme" , archétype du voyageur qui arpente la vie et les rues en égrenant dans sa course, des rimes. Rimbaud voyant, maudis et rêveur, il initie le "je" mais aussi le lecteur au métier de poète à travers un parcours initiatique dépaysant qui nous transporte à un autre niveau de perception plus évocateur et lyrique. Une invitation au voyage qui a aussi su conquérir les cœurs du jury !
Le poète, ce rêveur…
J’ai croisé la route de cet homme, un vestige
esseulé. Chaque jour comme les murs de Rome,
on remuait ses vieilles eaux de nos doigts gelés,
caressant uniquement ces foutus vestiges.
Cet homme qui rôdait, il nous mettait en garde,
et lui savait; il l’a vécu, bien avant nous.
ses rêves se sont effondrés, oui, se lézardent
encore l’hiver, quand bat le froid et le vent...
Son coin du feu à lui, c’est un champs de bataille:
il m’y narre son récit, jusqu’au soleil levant,
nos âmes se taillent et j’apprends qu’il y mourra
quand il sera sur le devant d’un opéra,
d'une pièce qui jamais ne s'est arrêté,
mais toujours elle finit mal, dans le plein hiver
alors que sonne l'été.
Je reprends sa route dans l'ordre mis en place,
par nos bons ancêtres qui se sont bien battus,
dans la neige boueuse poète se lasse,
suit le chemin du froid et du Ventoux, perdu.
3. La Chimère, U2π
Le troisième poème récompensé par les jurés de la madeleine de bronze insiste sur la dimension monstrueuse de la chimère à qui le poète donne un visage profondément humain. Réflexion sur l'intolérance, ce poème touche par sa brutalité. La faiblesse de l'enfant chétive dépeinte comme livrée à elle même et privée de défenses face à la haine de ses camarades suscite la pitié et la sympathie du lecteur qui est saisi par ce cri de détresse. Le passage par l'imaginaire rend l'appel d'autant plus poignant qu'il reste ignoré par celui qui aurait considéré trop vite ou trop peu ce "je" prêt à franchir le pas et qui nous interpelle, s'adresse à nous, lecteur, par le recours au "vous". Un poème saisissant qui donnerait envie d'intervenir.
Papa, Maman, j’ai peur ! Elle est cachée sous mon lit.
J’ai 10 ans les mots se mélangent.
C’est un amas qui me démange,
Un monstre qui me poursuit de jour comme de nuit.
Je vais devenir folle, ça me suit, ça me colle.
Je la vois à travers des prismes imaginaires.
Personne ne voit que je suis en face d’une chimère
D'origine inconnue provenant de l’école.
Pour vous décrire son portrait, j’ai besoin d’écrire
Le récit de mon inconfort mythologique,
Prenant source de moqueries allant aux rires :
C’est un assemblage de jugements mécaniques.
Tête de lion, ventre de chèvre, queue de serpent
Ses yeux remplis de haine sont le même regard
Meurtrier qu’ils me portent chaque matin sous le vent
Et viennent muter de bleus, ma peau blafarde.
Quelle est la différence de ma différence ?
Je porte en moi tous vos traumatismes billevesées.
Vous avez fait de moi une horreur détestée
Qui ne cherche plus qu’à céder sous la violence.
À entendre les rats ; les chiens font bien les chats
Si cela continue je franchirai le pas
“Fils de pute !” Ces mots me laissent un goût amer.
Ce sont des bâtards qui me traitent de chimère.
4. " Sur les songes dorés", Phy Ljiup
Le quatrième poème de cette sélection, s'il n'entre pas sur le podium, mérite pourtant toute notre attention. Plein de délicatesse et de tournures élégantes, ce poème nous berce dans un crépuscule qui nous retient encore pour quelques instants avant que nous ne soyons emporté par le sommeil de Morphée. Dialogue entre la nuit et le jour, c'est à l'heure dorée que les deux frères et sœurs se rencontrent. Regorgeant d'images poétiques, ce poème fait appel à notre imaginaire auquel on imagine appartenir la chimère et nous laisse ces vers groupés en quatrains qu'on ne se lasse pas de relire encore une fois.
Sur les songes dorés de ce jour qui vacille
Dont les lueurs sacrées viennent perler à vos cils
Ne vous endormez pas, mais écoutez plutôt
Cette nuit qui déjà pressent le jour nouveau
Entremêlez alors vos songes à ses pleurs
Et tissez de candeur vos mots ensommeillés
A son soir éploré offrez les mille fleurs
Que l’horizon demain aura déjà fanées
Vous qui ne savez pas consoler votre sœur
Vous qui de ses malheurs êtes le souverain
Régnez avec douceur sur ces rêves en vos mains
Laissez le fil des jours recoudre vos deux cœurs
***
Ainsi s'achève déjà ce très beau corpus ! On espère que vous aurez été touché comme nous par ces vers qui se croisent, s'embrassent et se suivent dans une atmosphère chimérique mythologique et merveilleuse qui nous rappelle le pouvoir d'évocation fabuleux de la poésie.
Retrouvez l'ensemble des textes envoyés par nos internautes sur notre site internet et toutes nos dernières actualités sur la page instagram @lamadeleine_celsa !
On vous dit à très bientôt, pour un prochain défi d'écriture avec "Aux fourneaux!" !
- L'équipe de "Aux fourneaux!"
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