Une critique de À son Image, Jérôme Ferrari, (Actes Sud, 224 p.)
Le livre à peine ouvert, c’est déjà une histoire qui s’achève : tout est déjà fini pour Antonia, jeune photo-reporter morte bien trop tôt sur une route de Corse.
Au rythme de la noce funèbre célébrée par son oncle et au fil des images, son histoire s’entremêle à celle de son île natale et de ceux qu’elle y a connus.
Tiraillée entre fascination pour les albums de famille et consternation dans son propre travail, la disparition d’Antonia laisse un voile sur l’œuvre de sa vie : elle seule avait le pouvoir de révéler le sens qu’elle donnait à ses photographies. Jamais personne ne pourra déceler ce qu’elle a voulu y exprimer, le hors champ restera toujours un mystère.
Car cette pratique est associée à l’éphémère, et dit à sa manière : « des hommes ont vécu, mais désormais, la mort est passée ». Et comment représenter la mort elle-même ? Des violences entre clans en Corse aux reportages en ex-Yougoslavie, Antonia et son oncle se sont tous deux confrontés à cette question avec leurs regards respectifs de photographe et de prêtre.
Jérôme Ferrari porte un regard critique sur une pratique journalistique et ce qu’elle dit du monde, mais aussi du photographe lui-même.
Il nous raconte l’histoire fictive d’Antonia en la mêlant à celles de photographes bien réels (Kevin Carter, Gaston Chérau...) qui peinent à s’insérer dans la trame de l’ouvrage mais nous éclairent sur l’histoire de cet art. Pour Jérôme Ferrari, la photographie a toujours une part de tristesse en ce qu'elle montre l'éphémère, ce qui m'a interpellée car je pense qu'au contraire, la photographie rend impérissable ce qui aurait dû rester éphémère : elle nous donne accès aux archives du temps. La photographie de Kevin Carter l'Enfant et le charognard, en 1993, est particulièrement parlante par la détresse qu'elle peut encore provoquer chez des spectateurs actuels. Devenue un véritable symbole de la famine en Afrique du Sud, elle aurait également signé le suicide de son auteur par les critiques reçues, l'assimilant au vautour attendant la mort de l'enfant. Au-delà des frontières temporelles, le photographe est toujours tiraillé entre son rapport à un événement et la façon dont il le représente, tel Antonia : pour l'héroïne, si une photographie ne change pas l'opinion publique en montrant quelque chose de grave, elle est obscène.
Si certains personnages auraient pu être développés davantage ( j'aurais aimé mieux connaître Dragan, le jeune officier en ex Yougoslavie dont l'expérience de la guerre éclaire celle d'Antonia ), À son Image fait méditer sur le rôle que joue une passion dans une vie, et sur la part de subjectivité qui existe toujours dans le réel. En tant que photographe amateure (et future journaliste je l'espère !) ce livre m'a apporté son lot de questionnements quant à la façon de retranscrire des événements dont on a été témoins, qu'ils soient banals ou traumatisants : Antonia est toujours en pleine réflexion quant à sa position face à son sujet ( y met-elle trop de sens ou au contraire pas assez ? ), et son journal ( lui laisse-t-il assez de liberté pour traiter des sujets qu'elle a à cœur ? ). Des questions qui se posent dans le monde du travail comme dans la vie intime, et auxquelles l'héroïne répond en étant toujours fidèle à ses principes, quittant son compagnon et son travail lorsqu'elle considère que sa vie n'est plus celle qu'elle veut mener. Et c'est finalement dans la mort que prennent sens les choix de son existence.
Margot Mac Elhone, le 20/10/2024
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